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Inforalité - Troubles de l'alimentation des enfants en bas âge

Difficultés alimentaires du jeune enfant

histoire bleu

 

Un peu d'histoire

La multitude des définitions illustre bien la variété des tableaux, leur hétérogénéité et l’évolution des concepts depuis plusieurs années.

 

Certaines définitions induisent une cause, ce qui nous paraît imprudent, d’autres évoquent des symptômes, ce qui est mieux mais souvent restrictif.

De plus, plusieurs symptômes observés chez les mangeurs difficiles, ont un continuum entre le normal et le pathologique avec un cut-off entre les deux qui dépend de la subjectivité parentale. Enfin, la nuance entre feeding et eating disorders (les désordres du nourrir et du manger) n’a pas de traduction exacte en français, ce qui rend la réflexion conceptuelle encore moins simple.

Finalement, le terme générique de difficultés alimentaires de l’enfant nous semble le plus adapté et permet de les différencier des troubles des conduites alimentaires de l’adolescent : Anorexie mentale restrictive ou boulimique et le binging syndrome.

Quelques définitions anciennes à ne plus utiliser :

Il y a plus de 30 ans, les premières réflexions sur le sujet des difficultés alimentaires du jeune enfant avec conséquence sur la croissance, faisaient une dichotomie entre les les OFT (organic failure to thrive) et les NOFT (Non organic failure to thrive) englobant dans une entité les causes de ralentissement de la croissance par défaut d’ingestat qui ne sont ni secondaire à une cause somatique ni lié à un défaut d’apport exogène, mais lié à des problèmes de « compétences » pour s’alimenter (skills) (Ramsay, 1993)

On entend encore des médecins âgés dire, quand ils n’ont pas trouvé de causes à une restriction de l’appétit avec conséquences sur la prise de poids chez un enfant de moins de 3 ans, qu’il s’agit d’une anorexie du nourrisson. Ce terme nous parait délétère car il ne donne ni une description sémiologique ni une cause et évoque la volonté active du nourrisson à ne pas se nourrir ce qui n’est pas cohérent avec les connaissances sur la physiologie de l’alimentation.

Néanmoins les maîtres de la pédopsychiatrie ont longtemps utilisé ce terme. Dans le célèbre « nouveau traité de pédopsychiatrie de l’enfant et l’adolescent » par Serge Lebovici, René Diatkine et Michel Soulé, dont la première édition date de 1985, Kresler différencie parmi les anorexies du nourrisson, l’anorexie d’opposition commune du deuxième trimestre, les anorexies mentales complexes du 1er âge (forme phobique aigue, terreurs, phobies diverses), les états pré-psychotiques et les formes dépressives (dépression du nourrisson).

 

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Classification

Irene Chatoor, pédopsychiatre américaine de l’université de Washington a repensé ces troubles de façon beaucoup plus concrète pour les pédiatres. Elle a conçu une classification qui tient compte à la fois de l’âge et des étapes du développement de l’alimentation, ce qui nous convient beaucoup mieux que les théories des pédopsychiatres psychanalystes français. Elle est partie du groupe des NOFT pour mettre en cause l’entité et la décrypter et a publié au début des années 2000 sa classification des troubles du comportement alimentaire du jeune enfant en 6 groupes :

 

  1. Feeding disorders of homeostasis - of state regulation - Désordres de l’homéostasie ou de la régulation des états.: 0-2 mois. Défaut de fonctionnement des mécanismes de régulation des états de stabilité corporelle nécessaires à la bonne qualité de la tétée. Début dès la naissance. Sans cause organique.

  2. Feeding disorders of attachement - of caregiver–infant reciprocity: 2-8 mois. Désordres de l’attachement : Défaut d’accordage, de réciprocité du regard, de synchronisation, collage-décollage ajustée générateur de satisfaction réciproque.

  3. Infantile anorexia : 6 mois - 3 ans. Anorexie infantile. Perte des capacités à interpréter la faim, refus actif aboutissant au conflit, parents stressés, enfant qui maigrit, vif, vigilent, lutte pour le contrôle + perte de poids.

(3 bis : Picky eater) Picoreur, petit mangeur (conflit parent-enfant sans retard de croissance)

  1. Sensory food aversions - Aversions sensorielles alimentaires. Sélectif, fort nauséeux, sensible aux textures.

  2. Feeding disorder associated with a medical condition - Troubles alimentaires avec cause organique.

  3. PTFD : posttraumatic feeding disorders : < 6 ans : TCA post-traumatique = refus panique soit de mettre en bouche, soit de supporter un morceau après un traumatisme à type d’étouffement, de vomissement grave ou d’inhalation…

 

L’entité numéro 4 décrite par Chatoor a été reprise par Catherine Senez pour définir le syndrome de dysoralité sensorielle.

 

Dans la CIM 10 ou version 10 de la classification internationale des maladies, mises à jour par l’OMS en 2008 définit :

 

- F98.2 - Troubles de l’alimentation du nourrisson et de l’enfant :

Trouble de l'alimentation caractérisé par des manifestations variées, habituellement spécifique de la première et de la deuxième enfance. Il implique en général un refus alimentaire et des caprices alimentaires excessifs, alors que la nourriture est appropriée, que l'entourage est adéquat, et qu'il n'y a pas de maladie organique. Le trouble peut s'accompagner d'une rumination (d'une régurgitation répétée de nourriture non accompagnée de nausées ou d'une maladie gastro-intestinale).

- F50 : Anorexie mentale et autres troubles de l'alimentation.

- R63.3 : Difficultés nutritionnelles et nutrition inadaptée.

- F98.3 : Pica du nourrisson et de l'enfant.

- P92 : Problèmes alimentaires du nouveau-né.

 

La classification internationale des troubles psychiatriques (DSM) différenciait, dans sa version 4, le Pica, le méricisme, l’anorexie mentale, la boulimie, l’hyperphagie compulsive (binging-eating disorders), et laissait tout le reste dans un vaste groupe de troubles non identifiés (unspecified feeding and eating disorders). La version 5 de 2013 (DMS-V) extrait de ce dernier groupe, les ARFID (Avoidant Restrictive Food Intake Disorders) ou comportement alimentaire sélectif et néophobique.

Le terme d’oralité est un terme franco-français, issu du vocabulaire psychanalytique, dont s’est saisi notre équipe il y a plus de 40 ans (G Couly, Oralité foetale) qui est défini par toutes les fonctions dévolues à la bouche, à savoir la succion, la déglutition, l’alimentation, le langage, la communication, l’olfaction, la sexualité …

Les troubles de l’oralité alimentaire est un terme qui est très utilisé par les pédiatres et les orthophonistes. Il a pour avantage de garder le flou entre corps et psyché, mais il a pour inconvénient de n’avoir pas de définition précise avec le risque de ne pas mener les investigations permettant d’expliquer les causes somatiques, fonctionnelles et psychiques de ces difficultés alimentaires précoces.

 

L’intégration holistique de champs physique, sensoriel, fonctionnel, psychique et environnemental, est aujourd’hui reconnue comme indispensable par tous les experts du domaine.

Récemment, un groupe de pédiatres experts américains a proposé de définir les troubles alimentaires pédiatriques (TAP) ou pediatric feeding disorders selon les principes de la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (ICF = International Classification of Functioning, Disabilty and Health) (2001) dont la « branche » pédiatrique a été identifiée en 2007 (ICF-CY= Children and Youth). L’idée est de regarder une pathologie chronique comme la résultante d’un problème de structure d’un organe, son fonctionnement et l’activité qui en résulte, et de facteurs environnementaux.

 

Les TAP (Troubles Alimentaires Pédiatriques) ou PFD (Pediatric Feeding Disorders) sont définis (Goday 2019) comme une anomalie des apports alimentaires qui sont, soit inapproprié à l’âge, soit liés à une situation médicale, nutritionnelle, neurosensorielle ou psychologique, dysfonctionnelle. On parle de TAP aigus s’ils durent plus de deux semaines mais moins de 3 mois et de TAP chronique au-delà. Les TAP se distinguent des TCA de l’adolescent car ils ne s’accompagnent pas de troubles de l’image corporelle. Le pica et le mérycisme restent des troubles spécifiques qui ne font pas partie des TAP, bien qu’ils puissent s’y associer.

Les TAP sont une anomalie des ingestat associés à un des critères suivants :

 

  1. Cause organique sous-jacente

    - cardiopathie,

    - pneumopathie chronique, inhalation chronique.

  1. Troubles nutritionnels

    - malnutrition,

    - carence vitaminique ou micronutritionnelle,

    - besoin d’un soutien nutritionnel.

  1. Anomalies des praxies alimentaires

    - intolérance aux textures,

    - nécessité d’outils ou de stratégies spécifiques pour se nourrir.

  1. Dysfonctionnement psychosocial

     - refus alimentaire,

     - troubles du lien parents-enfants,

     - anomalies des relations sociales liées aux troubles alimentaires,

À l’exclusion d’un défaut d’ingestat lié à l’absence de recours à l’alimentation.

 

Cette approche est intéressante car elle invite à trouver une cause aux troubles, mais elle mélange la description sémiologique et les causes.

 

Le terme de difficultés alimentaires de l’enfant reste le plus adapté. À chacun de réfléchir selon la sémiologie du symptôme et son retentissement somatique, à l’ensemble des facteurs causaux en présence.

enfant bleu

 

Quels sont les enfants concernés ?

Tous les enfants ont un jour ou l’autre des difficultés à manger !

Tout enfant qui ne s’alimente pas comme la famille, le médecin ou la société le souhaite : du bébé qui ne tète pas bien à l’enfant qui refuse les légumes ! 

 

Il s’agit le plus souvent de difficultés passagères liées à une petite contrariété interne (virus, poussée dentaire, autre maladie etc) ou externe (changement de lieu, de personnes qui les accompagnent dans les repas, entrée à l’école... etc).

 

Si le comportement anormal restrictif dure, sans maladie sous-jacente évidente, si les choix se restreignent, si les étapes normales de l’acquisition de l’autonomie alimentaire ne se font pas, les pages qui suivent peuvent vous aider.

Ces difficultés alimentaires concernent plus particulièrement les enfants qui ont une sensibilité marquée, sensorielle ou émotionnelle. Elles concernent beaucoup d’enfants qui ont subi des stress que ceux-ci soit transmis par leur environnement familial ou vécu dans leur histoire personnelle (hospitalisation, réanimation, naissance prématurée, chirurgie précoce, maladies infantile sérieuses ou répétées….).

Enfin, les enfants atteints de maladies neurologiques, de retard des acquisitions, de déficit intellectuel, de troubles du spectre de l’autisme, de malformations qui touchent la bouche, la face, la gorge, ou de syndromes génétiques particuliers, ont beaucoup plus de risque d’avoir des difficultés alimentaires que les enfants tout venant.

Les enfants concernés sont donc nombreux.

Notre focus d’expertise et le contenu de ce site, sont destinés aux enfants de 0 à 6 ans qui ont soit des troubles de succion ou de déglutition, des difficultés à téter, à être sevré du sein, pour les plus jeunes, soit des comportements alimentaires anormaux à un âge où la diversification alimentaire doit démarrer : comportement restrictif, néophobe, phobique, sélectif, évitant, ou qui ont du mal à franchir les étapes normales de l’acquisition de l’autonomie alimentaire (refus des morceaux, ne veulent pas manger seul, refus de goûter quoi que ce soit de nouveau …).

un comportement alimentaire qui reste anormal pendant l’enfance, à type de petit appétit, grande sélectivité ou néophobie susceptible de provoquer des carences macro ou micro-nutritionnelles ou des difficultés d’adaptation sociale.

 

Un comportement alimentaire qui reste anormal pendant l’enfance, à type de petit appétit, grande sélectivité ou néophobie est susceptible de provoquer des carences macro ou micro-nutritionnelles ou des difficultés d’adaptation sociale.

 

Plusieurs situations accentuent le risque

  • La prématurité

  • Les hospitalisations en période néonatale

  • les chirurgies précoces, en particulier la chirurgie des malformations cardiaques et digestives

  • les maladies infantiles sévères ou répétées au cours des premières années de vie

  • les troubles du lien mère-bébé

  • les séparations précoces réelles ou perçues

  • les dépressions du nourrisson, syndromes anxieux

  • les troubles du spectre de l’autisme

  • les hypersensibilités sensorielles

  • les malformations orofaciales et ORL, les fentes labiopalatines et palatines

  • les maladies digestives : oesophagite, diarrhée grave, allergie sévère ….

  • les déficits immunitaires

  • les pathologies cardiaques ou respiratoires

  • les retards des acquisitions psychomotrices et les déficits cognitifs

  • les atteintes cérébrales en particulier du tronc cérébral et des noyaux gris centraux

  • les myopathies ou blocs neuromusculaires

  • De nombreux syndromes génétiques en particulier, la séquence de Pierre Robin, le syndrome CHARGE, la délétion 22q11, la trisomie 21, le syndrome de Cornelia de Lange, le syndrome de Kabuki, les RASopathies, ect ...

 

Ces situations sont donc très fréquentes et souvent les causes sont plurifactorielles.

Une démarche diagnostique fine est donc indispensable.

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