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La démarche diagnostique face à un jeune enfant qui a des difficultés alimentaires nécessite une anamnèse longue et orientée, dans un climat empathique et bienveillant car le sujet est sensible et génère toujours de la culpabilité chez les parents en particulier la mère.
Cette anamnèse concerne non seulement l’alimentation, ses étapes depuis la naissance mais également l’histoire des parents vis-à-vis de l’alimentation, leur préoccupation actuelle vis-à-vis de l’alimentation, du poids, leurs traumas de vie, puis l’histoire de cet enfant depuis la conception jusqu’à aujourd’hui, et aujourd’hui son comportement relationnel, psychomoteur, ses manifestations d’anxiété, sa sensibilité sensorielle, ect …. Vient enfin la description du déroulement des repas, inscrite dans le déroulement de la journée et de la nuit.
L’examen clinique complet qui suit, s’accompagne si possible de l’observation d’un repas.
Cette démarche diagnostique se fait en consultation d’abord, au mieux pluridisciplinaire, ou en hospitalisation de quelques jours si l’observation du comportement de l’enfant et/ou du lien mère-enfant est nécessaire
Les questions auxquelles on doit répondre sont les suivantes:
Quelle est la sémiologie du trouble ? sémiologie très dépendante de l’âge de l’enfant. Est-ce un trouble de la succion, de la déglutition, de la coordination succion-déglutition-ventilation, une insuffisance vélaire, une parésie d’un nerf crânien, un inconfort pendant le biberon, un refus de téter, des pleurs provoqués par la tétée. Est-ce un défaut d’ingesta à comportement oral normal ? Est-ce un essoufflement, un bruit respiratoire provoqué ou accentué par la tétée ? Est-ce un encombrement pharyngé, un stridor ? Est-ce un trouble du comportement alimentaire sans anomalie des compétences neurologiques ni anatomiques ?
Quelle est la forme du TAP ? défaut de passage d’une étape alimentaire à une autre : du sein au biberon, de la tétée aux purées lisses, des purées lisses aux grumeaux, des grumeaux aux morceaux, de l’alimentation passive à active , ect ….
Est-ce que le trouble est congénital ou acquis et s’il est acquis, à quelle phase du développement de l’oralité normale ?
Est-ce un enfant ordinaire ou non ?
Cet enfant a-t-il une raison somatique qui explique son comportement alimentaire ? si oui, laquelle ?
Cet enfant a t il une pathologie génétique ou neurodéveloppementale ?
Quel est le contexte psychopathologique ?
Suite à ces réponses, des hypothèses diagnostiques sont émises. Il est alors possible de proposer des explorations complémentaires ou non, d’adresser l’enfant à un spécialiste d’organe ou non, d’approfondir la caractérisation du tableau psychopathologique ou non.
Dans ce vaste champ, des entités diagnostiques sont aujourd’hui proposées
troubles de l’oralité primaire ou troubles de la succion-déglutition-ventilation dans les 6 premiers mois de vie
malformations des VAS : angiome, kyste, diathème, vus par les ORL en endoscopie
Les malformations oro-faciales - fentes palatines, peu pourvoyeuses de troubles de succion en l’absence d’anomalie du SNC associée et fentes antérieures, labio-gengivopalatine, très pourvoyeuse de troubles de succion si fente vélopalatine postérieure
Les malformations et atteintes clastiques anténatales du tronc cérébral
les anomalies fonctionnelles des nerfs crâniens et du tronc cérébral : syndrome de Moebius, parésie des nerfs crâniens, dysfonctionnement néonatale du tronc cérébral syndromique (Syndrome CHARGE, RASopathies, Syndrome de kabuki… ou neurologique ou tératogène (Valproate syndrome, FAS….)
Les syndromes génétiques avec anomalies de la régulation de l’appétit (Prader-Willi, Costello …)
Atteinte congénitales des noyaux gris ou des neurotransmetteurs : + syndrome extra-pyramidal
atteinte de la jonction neuro-musculaire ou myopathie congénitale
Anomalies neurologiques acquises responsables de troubles de l’oralité secondaire - difficultés de mise en place des praxies de mastications
Atteinte du TC cérébrale acquise, tumeur, rhombencéphalite
Atteinte pyramidale ; IMC
Retard mental, encéphalopathie sévère,
Difficultés alimentaires secondaires à une cause somatique
cardiaque
Respiratoire
Infectieuse, catabolique, inflammatoire
Digestive - oesophagite, allergie alimentaire, diarrhée chronique, dysmotricité digestive, plicature gastrique, RGO, intolérance au lactose ….
Les troubles du comportement alimentaire post-traumatiques
Ancien prématuré
Post- lésion congénitale améliorée ou guérie
Post chirurgie ou réanimation dans la première année de vie - chirurgie digestive ou cardiaque surtout
Post nutrition artificielle, entérale ou parentérale
TCA psychogènes
Troubles du lien et de l’attachement précoce
Pleurs excessifs, anxiété mère-bébé
Troubles oppositionnels, dont anorexie commune du deuxième semestre
Picky eater, petit mangeur
Sélectivité majeure, néophobie, ARFID (Avoidant restrictive Food Intake Disorderds)
Troubles envahissants du développement, Troubles du Spectre de l’Autisme
Les difficultés alimentaires de l’enfant concernent tous les interlocuteurs du réseau de soins de l’enfant, mais le pédiatre de ville (ou le MG formé à la pédiatrie) est l’interlocuteur de choix. Il doit initier la démarche diagnostique, éliminer les principales causes secondaires usuelles de réduction de l’appétit. Il peut adresser l’enfant à un surspécialiste (voir ci-dessous) s’il a une idée diagnostique qui mérite une évaluation spécialisée, soit le médecin de ville a des difficultés à évaluer le trouble et adresse l’enfant à une équipe experte en troubles du comportement alimentaire du jeune enfant. Ces équipes sont en règle hospitalière : gastro-pédiatre, pédiatre généraliste hospitalier, pédiatre du développement ou pédopsychiatre.
Les surspécialistes utiles, selon les cas sont :
- Les ORL qui vont éliminer une anomalie anatomique et proposer soit une fibroscopie dynamique à l’état vigil soit une endoscopie complète sous AG.
- Le radiologue ou l’ORL expert en radiocinéma de la déglutition, examen qui précède un TOGD
- Le gastropédiatre qui peut évoquer des diagnostics tels que l’oesophagite peptique ou à éosinophile, les allergies alimentaires, les anomalies de la muqueuse intestinale, les maladies inflammatoires du tube digestif, et proposer des explorations fonctionnelles selon les cas : Phmétrie, endoscopie, manométrie
- Le pédopsychiatre si l’enfant a des signes de troubles du spectre de l’autisme, de dépression du nourrisson
- Le neuropédiatre si une anomalie du neurodéveloppement est suspectée.
- Le généticien si une pathologie syndromique est suspectée
Cheminement diagnostique des troubles du comportement alimentaire du nourrisson
V. Abadie, Hôpital Necker
En période néonatale, tout enfant né à terme hospitalisé de façon prolongée et ne pouvant pas s’alimenter par lui-même est à risque de développer des troubles de l’oralité alimentaire.
Cela concerne essentiellement les enfants présentant une cardiopathie, une pathologie digestive (omphalocèle, laparoschisis, hernie de coupole diaphragmatique, atrésie du grêle, atrésie de l’œsophage) ou une pathologie ORL (paralysie des cordes vocales, laryngomalacie) : ces pathologies nécessitent une prise en charge chirurgicale dans le premier mois de vie et peuvent avoir un retentissement respiratoire prolongé, empêchant l’enfant de têter.
Tous les prématurés sont à risque de développer des troubles de l’oralité, mais ces troubles sont sous-estimés dans leur fréquence et leur retentissement, car souvent mis au second plan par rapport aux éventuels problèmes respiratoires ou neurologiques de l’enfant.
Avant 34 SA, la coordination entre déglutition et ventilation n'est mature et les prématurés sont dépendants d’une alimentation entérale par sonde gastrique pendant parfois plusieurs semaines.
La maturation de la coordination succion-déglutition-respiration peut être ralentie par des troubles respiratoires prolongés (dysplasie broncho-pulmonaire), un déséquilibre faim-satiété secondaire à une nutrition parentérale et entérale prolongée, un manque d’afférences sensorielles, un lien mère-enfant difficile à établir.
alimentation lente (durée de prise d’un biberon supérieure à 30 minutes)
faibles ingestats
nécessité d’insister pour finir le biberon
refus du biberon
faibles ingestats
nécessité de détourner l’attention de l’enfant pour le faire manger
refus de certaines textures ou saveurs
difficulté à la prise des morceaux : mastication prolongée, déglutition sans mâcher, restes d’aliments dans la bouche, fausse-route, toux, nausées ou vomissements
refus de la prise des liquides au biberon
refus de toucher les aliments
refus de nouveaux aliments
refus de porter des objets à la bouche, voire de tout contact physique